PRIERE POUR LA PAIX
Lettre ouverte aux "Deux Grands"
Henri Poupon
Bandol le 1° Mai 1952
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1) Si vous veniez ici, Truman et toi Staline, Si jamais vous viviez dans un pays pareil, Que vous puissiez sentir le thym de ma colline, Boire un verre de mon soleil, Vous laisseriez tomber les foules Pour vivre en modestes terriens. Vous prendriez l'oeuf au cul des poules, Vous connaîtriez le goût des oursins et des moules, Vous boiriez le pastis, tout en jouant aux boules Et ne penseriez plus à rien.
Si vous veniez ici, l'air pur de ma montagne Vous aurait promptement saisis. |
2) Et si vous décidiez de partir en campagne Et de prendre un fusil, Je serais le premier à vous dire : "Allez-y ". Et vous iriez alors pour vider quelques douilles, Attendre la perdrix, cachés dans un buisson. Et lorsque par hasard, vous reviendriez bredouilles, Tout le long du retour, en chantant des chansons Sur le chemin qui s'enfenouille, Vous feriez prisonniers...des tas de limaçons Qui par un aïgo-saou vous paieraient leur rançon. Et puis le lendemain, majestueux et dignes, Vous mobiliseriez...vos régiments de lignes... ...sans oublier les hameçons Et vous iriez pêcher des soupes de poissons.
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3) Venez passer huit jours ici, je vous invite. Vous verrez ma commune elle est toute petite; Mais on en devient amoureux. Chacun des habitants est heureux comme quatre. Nous y vivons en culs-terreux, Sans penser à nous battre. Quand , par hasard, nous nous battons, Ce n'est que pour les yeux ou pour les blancs tétons De quelque Margoton ; Mais peu cruelles sont les armes Et de mémoire de gendarme Nul jamais ne verbalisa, Nous nous battons à coup de charme En nous lançant du mimosa.
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4) Venez, vous entendrez le chant de nos fontaines Qui s'harmonisent aux chansons Des cigales et des pinsons, Auprès desquels les plus beaux sons De la garde républicaine "Ne sont que ce qu'ils sont". Venez donc voir comment le raisin se vendange, Comment on fait pousser les rameaux d'olivier Et dans notre grand ciel, toujours bleu, sans mélange, Vous verrez des pigeons; mais jamais d'éperviers.
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5) Venez, et nous irons faire des promenades Le long de verdoyants vergers Où ça sent la fleur d'oranger. Vous vous régalerez de fraîches citronnades. Je vous ferai monter dans nos grands amandiers Et vous verrez des bataillons de grenadiers. De ceux qui font de vraies grenades. ( Celles qui peuvent éclater dans les doigts, sans les emporter.)
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6) Venez planter vos dents dans la chair de nos pêches Vous goûterez nos fruits de mer, nos crustacés Et vous constaterez qu'une barque de pêche Est plus belle qu'un cuirassé. Vous verrez les moineaux se donner la pâture, Les moutons se faire la cour Et vous remarquerez que dans cette nature Il ne se passe pas un jour, Sans que la moindre créature Nous donne une leçon d'amour.
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7) Venez voir ma commune, à quel point elle est belle, Venez-y, ne dites pas non ! Je veux qu'elle vous ensorcelle, Qu'elle immortalise vos noms, En vous gravant dans la cervelle Que pour réaliser la Paix Universelle, On peut y réussir avec des violoncelles Beaucoup mieux qu'avec des canons.
Eh bien ! hier, j'ai rêvé qu'ayant lu cette lettre, Fortement alléchés peut-être Par les propos tenus, Ces deux messieurs étaient venus.
Ils m'avaient pris au mot de la belle manière Et ils étaient venus à Bandol faire un saut. Truman , en amiral, sur une canonnière, Staline en maréchal, sur un beau char d'assaut.
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8) Le premier contact fut extrêmement sévère; Mais le soleil s'en est mêlé Et dès qu'on eut choqué le verre, Tout le monde était dégelé. On se mit prestement à table Où l'on se régala d'un menu délectable; Staline prit trois fois d'un excellent homard En sauce...américaine, arrosé de pommard Et Truman, gentleman, lui rendit son astuce En reprenant trois fois de la salade...russe. La bonne harmonie s'affirmait, La conversation s'animait Et pour éviter qu'elle tombe Le vin rosé coulait en trombe; Mais il ne fut jamais question d'aucune bombe, Sauf de celle que nous faisions en fins gourmets Et de celle au moka qui servait d'entremets. |
9) Bref, sitôt après la desserte, (J'attendais ce moment comme vous pensez, certes ! ) Je me suis gentiment permis De montrer à mes deux amis Tout ce que , dans ma lettre ouverte je leur avais promis
Et quand ils eurent fait le tour de mon pays, Quand par tant de beautés ils furent ébahis, L'âme rassérénée et les yeux éblouis, Les sens tout imprégnés de ma campagne verte J'ai nettement senti qu'ils étaient convertis, Et devant la Grandeur de cette découverte Les Deux Grands étaient tout petits.
C'est alors que mon rêve, en plein, s'est précisé. Une fée est venue.Elle a tout déguisé. Dans un tourbillon de fumée, Les choses se sont transformées. |
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10) L'impressionnante cannonière de tantôt S'était changée en un pacifique bateau, Comme ceux qui s'en vont pêcher à la morue ; Le gros tank qui faisait trembler toute la rue ...c'était une charrue... Et là-bas, au milieu de la place, en plein centre, Offrant aux villageois ce spectacle gratis, Staline et Truman se tapaient sur le ventre Et jouaient à pétanque en buvant des pastis.
Tandis qu'un peu plus loin des milliers de colombes Arrachaient à pleins becs des rameaux d'olivier, Pour aller les jeter à la place des bombes Sur la tête du monde entier.
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HENRI POUPON 1884 /1952 Plein de verve d'entrain, d'imagination, Henri Poupon, ce pur méridional de naissance et d'âme, a été à la fois auteur dramatique, parolier, poète, comédien... Parolier, il compose un grrand nombre de chansons à succès de Mayol, Georgel, Fragson, Christiné. Il chante lui-même ses propres oeuvres: à l' Alcazar de Marseille, celui de la Belle Epoque, les fameuses opérettes" Roseline", "Mon neveu de Chicago ," Au clair de la Lune ",etc...Puis il aborde le sketch en interprétant son "tribunal", sa " fantaisie espagnole" et avec Raimu " Les deux sourds" . Enfin, au cinéma, Marcel Pagnol en fait un de ses acteurs préférés : d'Angèle à Manon des sources, Henri Poupon a marqué chacun de ses rôles de sa forte personnalité.
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Au poète, avec une première "Prière à la Paix "(1914 ) on doit notamment " Lacrima Christi", " Merci, de Gaulle" (1945 ) et bien d'autres compositions qui témoignent de sa philosophie sensible et saine, de son horreur de la guerre, de son absence de complication, qualité si rare de nos jours. Poupon disait ce qu'il voulait dire, pour être compris de tous, et provençal, il parlait clair comme le soleil !
En 1952, en pleine activité, alors qu' il achevait le tournage du film " la Caraque Blonde", sa voix s'est tue tout d'un coup, mais sa pensée nous reste, aussi vivante, aussi joyeuse qu' il a été lui-même toute sa vie.
Merci à Antoine de Bandol pour le prêt de ce document |